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mausol​é​e tape

by Cosmic Ténia

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STRN-289

"Bujumbura, au Burundi un soir d’avril 2011. Je travaille là pour quelques mois pour une ONG, après y avoir passé 4 ans comme volontaire. Un message d’un pote sur internet « dis, c’était pas ton pote qui
faisait des chansons à la con ? triste nouvelle en tout cas… » Avec un lien vers un article de Ouest France. Je lis le titre de l’article dans la nuit d’un bureau vide. Un titre tout pourri du style « Jean-Luc Le Ténia, chanteur décalé et figure locale, est décédé au Mans avant-hier. » Avec une photo de Jean-Luc arborant son sourire légèrement gêné et ses fameuses lunettes trop grandes. Je reste coi. Il n’y a aucune mention de comment cela est arrivé, je suis a l’autre bout de la planète. Pas vraiment
moyen d’en savoir plus ni d’en parler à quelqu’un. Je ne le connaissais pas suffisamment pour avoir des contacts directs avec ses amis ou sa famille.

Que faire ce soir ? Ici à Bujumbura, personne ne connaît Jean Luc, ne l’a vu en concert. Le concept même de notre Ténia est assez difficile à expliquer dans un contexte « non-occidental ». J’appelle quand même Albert, un pote musicien rasta qui avait remarqué quelques chansons de Jean-Luc quand je les passais subrepticement en soirée, et avait accroché sur « oui-oua ! » qu’on chantait de temps en temps en fin de soirée. « on va boire un coup mon frère, dans ces moment-là, il faut pas
rester seul ». Va pour un petit coup avec Albert.

J’ai rencontré Jean Luc une douzaine d’années plus tôt. Années 90, adolescent dans l’ouest, dans le sillage du rock alternatif, c’est l’époque du ska et du rock «  décalé ». Mon pote Denis, qui reprendra plus tard « les chaussettes de bébés » avec son fabuleux groupe de chanson angevin, m’appelle : « mec, on a vu un super chanteur dans un petit festival de village - il était habillé en cycliste, il a foutu le feu avec sa gratte sèche et ses chansons déglinguées. Il faut absolument que tu le rencontres, il habite au Mans comme toi. Il nous a donné ses cassettes ». On les fait tourner à tous les copains, on écoute en boucle, on emmerde tout le voisinage en mettant Fais-moi un poutou et au coin de l’oreille
à fond sur le radiocassette au feu rouge, les yeux rougis de rosé en cubi lors de nos soirées rurales.

Après quelques mois, je finis par déposer une lettre pour lui à la médiathèque du Mans, que je fréquente assidûment (les email n’existaient pas encore !). Quelques jours plus tard, un message sur
le répondeur familial : « Bonjour c’est Jean-Luc, merci beaucoup pour ton petit mot, ça m’a beaucoup touché. Allons boire un coup ? ». Rendez-vous est pris, un samedi place de la République (évidemment). On papote tout l’après-midi, de musique, de ses accoutrements de concert, des profs du lycée Bellevue que nous avons fréquentés à quelques années d’intervalle. Il m’avoue, dans son mélange de fierté et de timidité que je découvre alors, que je suis « son premier fan », à l’avoir contacté comme cela après avoir écouté sa musique. C’est l’époque assez punk de Jean Luc, où ses concerts font beaucoup de bruits, sentent la sueur & la Kro et où il donne beaucoup de son corps.

Des extraits de ces moments magiques figurent en nombre à la fin de ses premières cassettes. J’ai encore en mémoire un concert mémorable au Lézard, où debout sur les chaises, une douzaine de collègues reprennent en beuglant « Au sport on m’appelle presse puréeeeeeee !!!! », le poing levé en l’air : des Blacks Panthers version ado sarthois. Entre deux transes sur ses hymnes punk acoustiques ruraux, Jean-Luc nous offre aussi des morceaux plus intimes qui parlent déjà beaucoup de désappointements amoureux et dévoilent un peu de sa mélancolie crue et cheap qu’il développera longuement par la suite.

On se voit de temps en temps pour boire quelques coups, je rencontre quelques-uns de ses potes, jeunes alternatifs qui ont eu le hasard de grandir dans cette ville si morne artistiquement. Il me présente : « Julien, un fan » et on rigole bien. « Dans la lettre que tu m’as écrite, tu parles de la
téniatitude, j’aime bien la formule… je vais en faire une chanson, je crois… ». Je mets au défi quiconque à qui Jean-Luc lui a dit qu’il « allait en faire une chanson » (et ils sont nombreux) de me dire aujourd’hui qu’il n’a pas tenu parole… Et bien sûr, on se croise à la médiathèque. On parle de
musique pendant de longues minutes en chuchotant, malgré la file d’impétrants attendant de faire passer leurs disques. Il me fait sauter mes amendes de retard, jusqu’au jour où il m’avoue désolé qu’il ne pourra plus le faire, suite à des remontrances de son chef. Il juge parfois bien sévèrement les disques de rock progressif que j’emprunte : lui qui a une approche bien peu professorale quand il partage sa culture singulière, contribue par petites touches à façonner celle en construction de
l’adolescent que je suis, surtout par son exigence.

Après avoir déménagé à Paris, je continue de le suivre en concert : à la péniche Batofar à Paris, où il procède à une fameuse destruction publique du Des visages, des figures de Noir Désir alors au sommet de leur gloire, et où il finira par entonner à capella et à poil Les trois petits cochons d’Anne Sylvestre en position de cochon pendu sur une poutre devant un parterre mal assorti d’étudiants et de vieux rockers. Et pour les premières parties des Wampas à la Cigale, à Nantes, à Morlaix… J’ai déjà
la bougeotte et Jean-Luc est déjà bien ancré en Sarthe. Pourquoi ne fait-il les premières parties des Wampas que dans l’ouest, et pas l’ensemble de leur tournée ? « Les tournées c’est trop loin, trop fatigant. A Paris ça va, je fais mon concert, je dors chez Didier, et je reprends le TGV le lendemain. Sa famille est très sympa. Sinon, je préfère rester pas trop loin du Mans. »
Un soir, alors que je suis de passage au Mans après avoir passé un an au Vietnam, il m’invite à prendre l’apéro chez lui. On mange du tarama et on boit des 1664 dans son petit type 1 à côté de la gare (pratique pour les sorties du TGV, vous me direz). Il m’avoue dépité que les 2 autres potes qu’il a invités nous font faux bond. On fait le tour de sa discographie et il me fait découvrir l’univers de Daniel Johnston, que je ne connaissais alors que de nom, de Jean-Louis Costes. Il m’explique qu’il arrête les concerts : on attend trop de lui qu’il foute le bordel, qu’il amuse la galerie. On ne fait pas assez attention à ses chansons, à ses textes. Je suis un peu déçu et je comprendrais vraiment plus tard, au fur-et-à-mesure de la construction de son œuvre, ce qu’il pouvait ressentir à ce moment là. Il me prête la VHS Costes au chiottes, seul item qu’il a chez lui du performer, en m’expliquant un peu gêné qu’il rechigne souvent à prêter ses films car on les lui rend rarement. Il se lève l’œil malicieux « puisqu’il n’y a personne, viens on va au Lézard : toi le voyageur, moi le poète, on va draguer les filles, ça va marcher du tonnerre. » Nous voilà traversant Le Mans résolument avec nos K-Way dans la nuit pluvieuse de la ville de l’automne permanent. A 3 heure du mat’, le taulier doit nous foutre dehors, non sans nous avoir partagé l’intégrale de Sepultura à fond sur les enceintes du bar. On n’a
pas de filles, j’ai encore une heure de marche sous la pluie, mais j’ai les hémorroïdes de Costes à regarder pour ma gueule de bois.

Je repars pour un an en Haïti, puis quatre ans au Burundi, et nos chemins se croisent plus rarement. On échange des messages sur Facebook et via son fameux email megalogique@free.fr . Avec l’éloignement, je reste plus fidèle à son œuvre qu’à notre camaraderie, en suivant ses sorties discographiques et les actualités de son Ténia Diary. Partout j’emporte ses chansons avec moi dans mes pérégrinations caribéennes et africaines : au fil du temps, des cassettes aux clés USB, en passant par les cds gravés et les mini-discs. Je ne me rends pas vraiment compte de la place que son œuvre prend dans ma culture, et dans ma vie. Peu à peu, certains morceaux s’imposent dans ma vie lointaine et souvent solitaire : Seul de nouveau pour les ruptures, Enfonce le clou pour les questionnements existentiels, Contre le cannabis pour le envies de provoc, Dingue de toi pour les rages punks… Pour tous les sentiments, pour toutes les situations, il y a une chanson de Jean-Luc.

C’est fou comme une personne si malheureuse a été capable de me faire tenir, tenir la barque, tenir à flot, autant de fois. A me rendre heureux, peut-être ?

En mars 2011, quelques semaines avant sa disparition, je suis donc de retour au Burundi pour un travail de quelques mois. Après des années de bénévolat et de volontariat, c’est mon premier « contrat de travail » bien rémunéré. Je me demande donc ce que je vais faire avec mon salaire. Sans maison, sans beaucoup d’habitudes de consommation depuis plusieurs années, je n’ai pas vraiment de besoin ou d’envie spécifique. Le choix est donc très largement ouvert. J’ai envie de marquer le coup, de quelque chose de spécial, qui me ressemble. Accoudé à un bar de Bujumbura, une idée. Brillante. Mais oui. Bien sûr ! J’ai trouvé. Avec mon pognon, je vais demander à Jean-Luc de lui acheter son intégrale ! Quelle bonne idée ! Lui qui a toujours donné accès gratos à ses disques et
cassettes au fil des années. J’explique très fier ma trouvaille à mes camarades. Ils sont perplexes, mais bon finalement, ça à l’air de te faire tellement plaisir, alors vas-y… J’étais vraiment content de mon idée. Je ne saurai jamais si j’aurais réellement poursuivi mon idée jusqu’au bout… si j’aurais été aussi résolu que Jean Luc devant une idée de chanson.

En mars 2020, installé à l’île Maurice depuis 3 ans, je papote avec mon pote Benjamin, installé maintenant au Canada mais rencontré au Burundi, qui est l’ancien guitariste d’Albert l’ami burundais.
Quelques années auparavant, au cours d’un road-trip au Québec, j’avais ramené une clé usb avec quelques morceaux dessus : on a écouté Jean Luc en boucle pendant 10 jours dans la bagnole. Au téléphone, je ne sais pas comment on en vient à parler de Jean-Luc. Et si on faisait quelques
reprises ? « Ah mais oui. En plus je viens de recevoir un synthé de l’espace des années 80 complètement cosmique que j’ai fait venir de Vancouver ! Je vais faire les musiques dessus, ça colle bien avec l’esprit de Jean-Luc ! ». Je lui objecte qu’on est à 15 000 km de distance, que je ne sais pas chanter et qu’accessoirement je ne suis pas musicien. « Enregistre ta voix au téléphone ! Ça ne changera pas trop des enregistrements originaux. Et puis excuse-moi, mais sur le côté chant
professionnel, Jean-Luc… bon… il se posait moins de questions que toi ! ».

Nous voilà partis : j’embarque ma copine Céline, rencontrée elle aussi au Burundi et convertie à Jean-Luc (via un processus pas très éloigné du syndrome de Stockholm) pour des chants enregistrés sur téléphone à L’île Maurice, qu’un Montréalais met en musique sur un synthé de l’espace des années 80. À partir d’une trentaine de morceaux testés, 9 sont finalement mis en musique. Nico, un autre ami montréalais du Burundi, a ajouté ses guitares rageuses sur quelques titres.

Voilà cette mixtape, hommage bancal et amateur de quatre amis, liés par un exil au milieu de l’Afrique et une dissémination géographique aléatoire, au chanteur le plus sédentairement sarthois du monde : Jean-Luc, je ne sais pas si tu sais, mais ton œuvre, elle, a depuis longtemps quitté Le
Mans et se dissémine un peu partout, même au-delà du canapé du salon de Didier Wampas."

credits

released October 21, 2020

Crédits
Céline Lemmel : voix
Julien Moriceau : voix
Nicolas Clemesac : guitares, programmation batteries, arrangements
Benjamin Bleuez : synthés, guitares, basse, programmation batteries, arrangements
Stéphane Cerny : batterie sur PEL (aller simple), PEL (retour compliqué)
Mixage : Benjamin Bleuez
Matriçage : Jean-Philippe Villemure
Pochette : Jade Duchesneau-Bernier

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La Souterraine Saint Ouen Sur Seine, France

French & francophone pop underground.

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